Une tournée qui vire au cauchemar à Calais : une infirmière rouée de coups chez un patient

Charlotte est infirmière libérale à Calais . Depuis 16 ans, elle soigne, écoute, rassure, entre deux portes. 

Elle exerce ce qu'on appelle un métier-passion .

Mais ce vendredi 17 octobre, sa tournée a pris un visage qu'elle n'oubliera jamais : celui de la peur. Celui de la violence. Celui d'un homme qu'elle connaît pourtant.  

Elle accepte de témoigner, à condition de rester anonyme.

Nous sommes sur son lieu de travail. Sa voix est posée, parfois brisée. « Je n'aurais jamais imaginé me faire agresser pendant mes soins » , souffle-t-elle.

« On entre chez des gens qu'on ne connaît pas vraiment… Je me rends compte aujourd'hui qu'on ne se méfie pas assez. »  

Un simple regard, puis la peur

Depuis un an et demi, Charlotte suit un patient âgé dans le quartier de son cabinet.

Elle connait aussi, de manière ponctuelle, son petit-fils, à qui elle apporte des soins occasionnels. L'homme vit sous le même toit.

Les tensions existaient, dit-elle, mais jamais elle n'aurait imaginé une explosion de violence .  

Ce vendredi matin, tout bascule .  « Son regard… juste un regard. J'ai compris qu'il fallait fuir » , raconte-t-elle.

Aucun mot échangé. Face à elle, un homme d'1,90 m, près de 120 kilos.

Elle tourne les talons, s'échappe, court se réfugier chez la voisine — une autre patiente, âgée de 82 ans.

Elle n'a pas le temps de refermer la porte. L'homme la rattrape. « Je n'ai pas eu le temps de réfléchir. J'ai eu peur, très peur. »  

Elle encaisse les coups , la tête protégée entre ses bras. « Mon cerveau s'est mis sur off. » Elle hurle .

L'agresseur frappe, tire ses cheveux. « J'en ai perdu beaucoup » , murmure-t-elle, le regard dans le vide.

La vieille dame chez qui elle s'est réfugiée tente de la défendre . Les trois personnes s'effondrent au sol . Le bras du fauteuil se brise. « Quel courage elle a eu… Je m'en suis tellement voulu de lui faire vivre ça » , répète Charlotte, émue.  

La fuite, puis le choc

Alertée par les cris, la mère de l'agresseur finit par débarquer et s'interposer.

Elle ordonne à Charlotte de se sauver. « Je me suis dégagée en enlevant mon manteau. Il me fallait encore. »

Charlotte s'enfuit enfin, puis appelle la police.

La plainte sera déposée dans la faute.  

Le choc, lui, ne fuit pas.   « Une infirmière libérale ne s'arrête pas »  

Le pass week-end. Dès le lundi, malgré les hématomes, malgré les tremblements, elle prend sa voiture.

Même tournée, mêmes soins. Mais deux patients qu'elle refuse désormais de soigner.

Reste que plus rien n'est pareil. « Quand je traverse le quartier, mon cœur palpite. Mais ce métier, c'est ma vie. On ne peut pas abandonner nos patients. » 

Les messages affluents : collègues, proches, familles soignées. « Cet élan m'a portée. J'ai pleuré chez presque tous mes patients ce lundi-là. »

Elle sourit un instant, les yeux encore humides.

À 42 ans, Charlotte est déterminée à poursuivre sa mission. Mais différemment. « Je serai plus méfiante, moins tolérante maintenant. »

Avec d'autres infirmières, elle réfléchit désormais à organisatrice des ateliers d'autodéfense. « On entre seul chez n'importe qui. Il faut apprendre à se protéger. »  

Charlotte n'attend ni médailles, ni effusions.

Elle espère simplement qu'on entend ce que son histoire dit de toutes les autres : celles qu'on ne raconte pas.

Celles qui vivent, chaque jour, ces soignantes qui frappent aux portes, sans savoir ce qui pourrait se passer derrière.

Ré-écoutez le témoignage de Charlotte